La figure de l’Homme nouveau s’inscrit dès la fin du XIXe siècle dans l’idée d’une décadence de l’occident qui pourra seulement être régénéré par « la guerre totale ». La virilité des cadres supérieurs de l’armée aryenne s’inscrit dans un néo-paganisme religieux de masse porté par le couple Ludendorff qui dès 1916 annonce le programme politique d’Hitler tandis que s’exprime une tradition artistique à travers Arno Breker et Leini Riefensthal, inspirée des héros grecs, tournant le dos à la tradition des chevaliers teutoniques vaincus à Tannenberg.

Conférence de M. Jean Heuclin - Professeur d'Université Doyen Honoraire

 

 

Assevent
une nécropole franco-allemande de la bataille de Maubeuge

1140 français dont 487 en ossuaire, 399 Allemands dont 342 en ossuaire.779 tombes initialement.

Commémoration du centenaire : que peut-on en apprendre ? par J.Heuclin.

1. Le souvenir de la bataille « oubliée » de Maubeuge - le plus long siège de l’invasion (27 août – 8 septembre 1914) passé sous silence pour des raisons politiques et militaires.

• Le siège de Maubeuge illustre l’échec du plan XVII et confirme la pertinence des choix du généralissime Michel écarté du Conseil supérieur de guerre en 1912 lors du débat sur la loi des trois ans à l’issue desquels Jaurès avait affirmé : « que restera-t-il Maubeuge perdu au milieu d’un océan d’invasion ». Vison prophétique
• Le général Fournier, cassé psychologiquement par l’hystérique Messimy, isolé tactiquement par la perte de ses moyens d’observation et de communication, abandonné par le GQG
• Von Zwehl, laissé seul avec deux divisions (30 000 hommes) et peu de munitions face à une garnison française de 46000 hommes, suite à une erreur d’appréciation de Maubeuge dans le plan Schlieffen.

1. Un régime d’occupation débonnaire avec le gouverneur Karl ritter von Martini, rattaché au gouvernement de Bruxelles conformément aux buts de guerre allemands. Après la phase de butin, mise en place d’une politique de collaboration sans succès durant la première phase de la guerre 1914-1916.
2. Rupture de cette politique avec la mise en œuvre du plan Hindenburg (31 août 1916), mise en œuvre de la dictature militaire avec Ludendorff. C’est durant la phase de transition (printemps-automne 1916) que prend corps le projet du cimetière franco-allemand d’Assevent.

Une volonté du Kaiser.

1. Sur le plan militaire, il s’agissait de préparer la relance de guerre de mouvement à l’ouest et de rappeler à l’armée et à l’opinion publique allemande, les victoires de la marche victorieuse sur Paris de 1914 : Mons, Maubeuge, Guise, Saint-Quentin
2. Dans cette perspective le Kaiser avait été impressionné par l’important cimetière des soldats de la garde prussienne tués en 1914 à Saint-Quentin et souhaitant honorer leur sacrifice fit appel au professeur Wandschneider.
3. Partout en territoire occupé des petits cimetières et des monuments allemands avaient été élevés (Avesnes, Sains du Nord etc…) Il s’agissait de rappeler le sacrifice régénérateur des combattants unis jusqu’à la mort. De ces nécropoles devrait sortir l’Homme nouveau porteur de la guerre totale prévue par Ludendorff.

Un projet politico-militaire.

1. Pour atteindre cet objectif, il s’agissait de revenir à une politique de « collaboration dans l’honneur réciproque des combattants allemands et français de 1914 » par des projets conjoints de nécropoles franco-allemandes. Le but était de ne pas heurter la sensibilité patriotique des vaincus, de reconnaitre leur valeur et par là d’éviter à tout prix que ne renaisse sur l’arrière des lignes allemandes la guerre des Francs-Tireurs connue en 1870 et le soulèvement révolutionnaire des populations civiles.
2. L’effet psychologique escompté était de favoriser la mise en œuvre du plan Hindenburg (31 août 1916) et notamment à l’ouest organiser la grande manœuvre de retrait du plan Alberich permettant d’économiser 13 divisions, tout en mettant au travail les populations civiles (ZAB) conformément au dispositif de la loi du service patriotique du travail obligatoire votée par le Bundesrat le 5 décembre 1916.
3. En dernier ressort la cohérence de ce plan était alimentée par un changement en profondeur d’idéologie : abandon du thème ancestral traditionnel des Chevaliers teutoniques par celui néo-classique du héros grec porteur du discours de l’Homme Nouveau. Ce dernier devait être illustré par les « stosstruppen » de la 36e division Rhor, entrainés à la carrière de Watissart à Jeumont.

La mise en œuvre du projet. (mai – octobre 1916)

Le 22 mai 1916 : un projet commémoratif impliquant toutes les municipalités de la place-forte de Maubeuge est mis en œuvre. Voir texte connu sur les municipalités chargées de fournir main-d’œuvre, cercueil et chaux etc…

1. Un prétexte : les Saxe-Meiningen apparentés à la famille impériale. Le cimetrière est inauguré par Charlotte de Prusses, sœur du Kaiser, épouse de Bernhard III de Saxe-Meiningen, le 20 octobre 1916.

Friedrich de saxe-Meiningen le père avait été tué à Tarciennes lors de la bataille de Charleroi et le fils Ernst, tué près de Givry le 25 août 14. La princesse de Saxe-Meiningen, Adelaïde zu Lippe-Bittenberg était revenue chercher les deux corps avec d’imposantes automobiles qui avaient impressionné en octobre 1914 les populations locales.

1. Un architecte de notoriété publique : Camille-Julius Mangner (1885-1923) architecte de Barmen-Wuppertal, né à Bonn.

Chargé en 1910 de la rénovation urbaine d’Eberfeld et de Düssseldorf avec H.Hecker. puis en 1926 de la construction de la gare du métro aérien de Wuppertal et du monument aux mort de cette même ville en 1930.

1. Le projet fut réalisé entre le 23 juillet et le 27 août par le rachat d’un terrain de 3000 m² à l’adjoint au maire de Maubeuge, l’architecte J.Neuillès, collaborateur actif de l’Echo de Maubeuge connu par sa rubrique hebdomadaire signée « Edmon Beuge ».

Les éléments des grilles ouvragées le furent par des ouvriers français employés par la « Militär-maschinen fabrik de Maubeuge » (Providence ou la Senelle)

Les traits du cimetière :

• deux colonnes portant le globe impérial surmonté de la croix et signifiant l’emprise impériale sur toute la terre. Souvenir millénaire du Saint-Empire Romain-Germanique.
• Un temple grec (le naos) qui protège une statue restaurée d’Adonis, fils de Cinyras et de sa fille Myrrha, amant d'Aphrodite et de Perséphone. Selon la légende Adonis affronta un sanglier. L'animal blessé le chargea et Adonis s'effondra, blessé mortellement à la jambe. Une goutte de son sang tomba par terre et Aphrodite versa une larme sur la goutte de sang qui donna naissance à l'anémone. Aphrodite tint à rendre hommage à son amant défunt et organisa en son honneur une fête funèbre célébrée chaque printemps par les femmes dont les pleurs permettent la résurrection du héros.

L’épitaphe aux morts immortels (mortuis immortalibus) au fronton est dans la logique de la légende.

A la même époque on trouve des pièces identifiant Hindenburg et Ludendorff aux héros de la mythologie grecque. Le premier terrasse le Minotaure et le second est engagé dans la lutte des Titans. On passe donc insensiblement à une idéologie du héros grec renaissant vers les dieux du stade, ces hoplites bien musclés que sont les deux héros qui marquent le cimetière de Saint-Quentin, inauguré de façon théâtrale par le kaiser qui le 18 octobre 1916 déposa sur chaque tombe de soldat une couronne de fleurs.

L’idéologie marchante de l’Homme nouveau …

Le plan du cimetière d’Assevent est bouleversé en 1917 et 1918 avec la sépulture anonyme des 260 soldats russes prisonniers, employés par « l’Abbau-gruppe » pour détruire l’appareil industriel, à l’arrière du Naos grec témoignant de la supériorité de la race des seigneurs sur les « untermenschen » les slaves-esclaves que la géographie du IIIe Reich va mettre en évidence.

Alors que sont inaugurés les cimetières de Saint-Quentin et d’Assevent, le 19 octobre débutent en Val de Sambre les déportations de 25 000 ouvriers et civils de 15 à 60 ans pour la construction de la ligne Hindenburg vers Cambrai.

L’ombre d’Éric Ludendorff (1865-1937) est désormais présente dans le cimetière d’Assevent : qui prépare de la guerre totale à l’état totalitaire. Reprenant la théorie de Clausewitz (1815) : la guerre absolue pour anéantir l’adversaire par tous les moyens. Ludendorff extrapole à partir de 1916 (voir ses mémoires). L’effort de guerre est planifié et centralisé par les militaires, le Kaiser est relégué au second plan. Selon Ludendorff : Le politique est subordonné au militaire. - La guerre est l’affaire de tout le peuple pour sa survie (espace vital)

• Le civil est un combattant du front arrière
• le champ de bataille s’étend à tout le territoire
• La guerre totale vise les combattants et la population civile entière.
• L’armée est seule capable de conformer les corps et les esprits au combat total.

Les hommes nouveaux présents à Maubeuge : von Khüne, cdt de la XIVe ID. R qui mena l’essentiel du siège de Maubeuge. Rhor, formateur des Stosstruppen à Jeumont, Nigel formateur à l’école d’artillerie de Maubeuge à la méthode du Polköwitz du «  feu roulant » – (la Feuervalse). Oscar von Hutier cousin de Ludendorff à la tête de la XVIIIe armée prépara à Avesnes l’arrivée de l’OHL, partisan des nouvelles méthodes de combat, il lança l’offensive du printemps 1918 (Frieddensturm).

Signalons aussi celle d’E. Völhber, peintre et photographe du siège de Maubeuge, qui devint l’artiste officiel du IIIe Reich.

Après le 8 août, date de la rencontre en gare d’Avesnes de Ludendorff, du Kronprinz impérial, Hindenburg, prise de conscience du jour de deuil de l’armée allemande. Von Hutier met en place la théorie « du coup de poignard dans le dos » le texte en est rédigé par Hans von Zwehl, le vainqueur de Maubeuge en 1914 !!!

Assevent : Une nécropole au tournant de l’Histoire du XXe siècle : Une symbolique prémonitoire.

En attendant sa reconnaissance par l’UNESCO.

Éléments d’architecture d’Assevent placés dans le « book » de l’architecte Mangner

Eléments de théâtralisation :

Les tombes allemandes donnent l’impression voulue de soldats dans leur lit d’hôpital (dosseret en pierre) prêt à ressusciter. Le fond arboré rappelle la forêt germanique d’où sortent les héros du Walhalla accompagnés des valkyries. Décor wagnérien.