Domaine: Histoire

L'auteur:

Son parcours d'historien se déroule à Lille avec sa Thèse : Recherche sur l'érémitisme en Gaule du nord, Lille, 1980 et son HDR : Recherche sur le clergé mérovingien et carolingien en Gaule du nord, Paris IV Sorbonne, 1995.

Jean Heuclin a été doyen de la faculté libre des sciences humaines de la faculté catholique de Lille jusqu'en 2011 et il est le directeur du CREDHIR (Centre de Recherche d’Enseignement et d’Histoire Religieuse) Il débute sa vocation de professeur à l'institution Saint-Pierre à Fourmies.

Faculté Libre des Lettres et Sciences Humaines - Institut Catholique de Lille

Une autre vision de la Première Guerre mondiale

• 14 février 2014
• Écrit par Communication-FLSH

En quoi le projet La Guerre incomprise : mythes et réalités se démarque-t-il ?

Généralement, ce qu’on apprend de la Grande Guerre dans les manuels d’Histoire, c’est la « guerre bataille ». On y explique les phases du conflit et on énumère les différentes batailles. Depuis un siècle, on commémore à travers le 11 novembre cette « histoire bataille ». Et on commémore ce que j’appelle la vision du vainqueur, c'est-à-dire à travers un discours franco-français en oubliant complètement le regard allemand. Avec le projet La Guerre incomprise : entre mythes et réalités, on change d’optique car on aborde ce qu’on appelle en histoire la vision du vaincu. Nous avons choisi le thème de la guerre incomprise pour trois raisons. Le problème d’une guerre incomprise se fait d’abord sentir au niveau du combattant : pourquoi un soldat est-il tant touché ? La deuxième est pourquoi cette guerre a duré si longtemps ? Et la troisième c’est la situation dans les territoires occupés, avec le modèle d’exploitation économique des Allemands. Mais la guerre incomprise se trouve aussi du côté du civil occupé. Ce que je trouve prodigieux c’est que la guerre 14-18 est une époque complètement mythifiée, centrée uniquement sur le discours du vainqueur. Il faut changer le discours. C’est le pari que je fais cette année.

Qu’y a-t-il de novateur dans ce projet ?

Lancer l’idée d’une commémoration de 1914, entre les événements du 30 juillet au 4 août 1914, est quelque chose de nouveau car cela induit une question importante : quelles sont les causes de la guerre ? Il s’agit de comprendre pourquoi on s’est battu à partir de 1914 et surtout les raisons pour lesquelles cela a entraîné neuf millions de morts. C’est l’interrogation aujourd’hui de tous les historiens, français, allemands et britanniques de comprendre pourquoi il y a eu autant de victimes. Avec une deuxième question sous-jacente qui est de comprendre comment ce conflit a pu durer quatre ans avec une telle violence. En évoquant le centenaire, on repose cette question assez gênante des causes de la guerre 14-18. Aujourd’hui on peut se poser une telle question mais, en 1919, c’était inenvisageable au risque d’être considéré comme défaitiste ou pro-allemand.

Justement, quelles sont les conclusions sur ces causes de guerre ?

Aujourd’hui tous les historiens s’accordent pour dire qu’il n’y a pas de causes de guerre parfaitement identifiables. Avant le 4 août 1914, il n’y a pas de théorie d’axe du mal, il n’y a donc pas de légitimité morale à la guerre. Au niveau de la construction logique, théologique et morale, il n’y a rien, en réalité, qui puisse justifier la guerre. Simplement, les élites politiques et militaires ont complètement perdu le contrôle des événements. La Première Guerre mondiale n’a donc pas de causes identifiables, ni de justifications éthiques, mais elle a engendré neuf millions de morts. Pour les nouvelles générations, il faut maintenant qu’on le dise et c’est aussi à cela que sert la commémoration.

Pourquoi commémorer le début d’une guerre ?

Car commémorer 1918, c’est seulement rappeler la vision du vainqueur. On n’est pas dans une conception historique. Entre 2014 et 2018, une thématique par année sera abordée. Je suis sceptique car les Français ne sont pas préoccupés par cela en ce moment. Commémorer le centenaire 2018 prévu au niveau national, je le comprends mais j’ai peur qu’on revienne au discours du vainqueur. A moins qu’on ait eu le temps de poser la question des réparations avec les Allemands, mais vous imaginez demander des indemnités à l’Allemagne aujourd’hui ? Pour ces raisons, je ne commémorerai rien en 2018.

Propos recueillis par Pauline LASSAOUI et Charlie PERREAU